Immense. C’était le premier mot qui était venu à l’esprit de Haiko en entrant dans le hall de la pension. La pièce était ronde et une multitude de portes et d’escaliers s’ouvraient sur d’autres salles du bâtiment, et le garçon déglutit. Un endroit si grand ! Ça voulait dire une foule de personnes qui y vivaient, et pleins d’endroits à découvrir. Un léger picotement d’excitation lui parcouru l’échine quand il leva les yeux vers la grande coupole de verre. Le ciel était si bleu, ce jour là !

Doucement, il s’approcha des bureaux qui trônaient au centre la pièce avec pour seul bagage un sac en toile qui pendouillait sur son épaule droite. Il fallait dire qu’il possédait si peu de choses… Il hésita quelques minutes, ne sachant pas à quel bureau se diriger. Une fille passa près de lui, l’air sur d’elle. Il la suivit discrètement, histoire de faire semblant de savoir où aller… Alors qu’elle engageait une conversation qui ne semblait plus se finir avec le réceptionniste, une autre employée lui demanda :


Rougissant légèrement par timidité, il acquiesça en s’approchant du bureau.


La jeune femme lui adressa un sourire accueillant et un éclair d’amusement lui éclaira les yeux. Haiko se mit à tordre nerveusement ses doigts. Si on découvrait sa véritable position…


L’employée pianota sur son clavier d’ordinateur, puis empoigna une feuille et un stylo pour griffonner quelques mots. Elle tendit la feuille de papier en lui déclarant joyeusement :


Haiko la remercia poliment en récupérant son papier. Il s’éloigna de quelques pas pour lire le numéro de sa chambre. C’était tout ce qu’il y avait de marqué sur la papier. Pas même une explication pour trouver où étaient les dortoirs ! Tu parles d’un centre de renseignement, pensa-t-il avec amertume. Il releva la tête et observa une fois de plus le nombre incalculable de portes derrière lesquelles pouvait être sa chambre. Un soupire résigné lui échappa des lèvres.

Perdu. Oui, c’était exactement ça : Haiko était complètement perdu. Il avait bien trouvé le couloir des dortoirs, mais où devait-il aller ensuite ? Il marchait lentement dans les couloirs, observant les numéros de chaque porte et s’arrêtant parfois pour consulter son petit papier. Maudit petit papier ! Ne pouvait-il pas indiquer plus clairement la direction à prendre ? Il regarda les gens s’agiter autour de lui. Eux savaient où ils allaient : ça se voyait dans leur démarche. Certains chahutaient, d’autres riaient, les plus sages lisaient des livres en marchant tandis que d’autres parlaient calmement entre amis. Tous en compagnie de quelqu’un, tous si… Humains. Il se désintéressa de son morceau de papier pour mieux observer ces individus.

Il ne remarqua pas tout de suite le garçon blond qui s’avançait d’un pas décidé vers lui. Ce n’est que lorsqu’il fut à un mètre de lui qu’il s’aperçut de sa présence et qu’il tourna ses grands yeux bleus vers lui d’un air intrigué. Sans comprendre ce qu’il lui arrivait, il sentit le garçon enrouler ses bras autour de sa nuque et poser ses lèvres contre les siennes. Haiko tressaillit à peine. Pour lui, un baiser n’était ni rien ni plus que ce qu’il avait lu dans les livres…

Pendant une micro seconde, il consulta le dictionnaire sans limite implanté dans ses programmes. Baiser : action de poser sa bouche sur une personne, une chose, en signe d’affection. C’était bien le sens du mot dans son cas à lui. Quoique le « en signe d’affection » le troubla. Y avait-il quelqu’un ici qui l’aimait assez pour l’embrasser ? À sa connaissance, il était un parfait inconnu aux yeux de tout le monde ici.

Et pourtant quelqu’un l’embrassait bel et bien. Et Haiko n’avait jamais rien vécu d’aussi agréable dans sa vie… Les lèvres de son homologue étaient chaudes et faisaient passer une telle tendresse qu’il se sentit fondre de l’intérieur. Alors qu’il n’avait pas réagit jusque là, il répondit en embrassant timidement la lèvre inférieure du blond avant que ce dernier ne se retire. Les paupières mi-clauses, Haiko mit quelques secondes à calmer sa respiration avant de relever son regard vers le garçon qui venait de l’embrasser.

Puis tout se remit en route. Les bruits des autres passants, les regards qui se posaient sur eux : tantôt amusés, tantôt dégoûtés. Les joues de l’androïde s’empourprèrent quand il croisa le regard doré en face de lui. Il se tordit les mains, et ne sachant quoi faire, il dit la première chose qui lui passa à l’esprit :

Le sourire du blond s’effaça aussi sûrement qu’un pâté de sable écrasé par les vagues. Haiko se sentit encore plus mal à l’aise. Est-ce qu’il avait dit quelque chose qu’il ne faille pas ? Pourtant, sa question lui semblait anodine. Pourtant, la voix de l’autre laissait paraître sa détresse lorsqu’il s’exclama :


Deux février 2000. C’était aussi le jour où on avait terminé l’installation de ses programmes, dont celui de sauvegarde de la mémoire. Se pouvait-il qu’il ait rencontré ce garçon avant cet événement ? Et puis, le livre sur les robots dont il parlait… N’était-ce pas le tout premier ouvrage qu’il avait lu ?

Complètement perdu, Haiko essayait de franchir la barrière qu’imposait la limite de ses souvenirs, mais il n’y avait rien à faire : il ne se souvenait de rien. Il jeta un regard désolé à Yuu en balbutiant :


Haiko sentit sa raison vacillait lorsque le blond fondit en larmes. Il était la cause de son trouble et n’était même pas capable de l’aider ! Complètement paniqué, il rattrapa le garçon en larme. Si un peu de réconfort pouvait l’apaiser, il pouvait au moins lui offrire ça… Ses capteurs détectèrent le souffle de la respiration de Yuu caresser sa peau, et la chair de poule lui monta en un frisson. Il n’avait jamais côtoyé d’humains autres que les scientifiques durant sa vie, et voilà que soudainement un parfait inconnu se retrouve dans ses bras… Comment en était-il arrivé là, déjà ? Ah oui, la pension Shiinu.

L’androïde se crispa soudainement en sentant la langue de son homologue lui chatouiller l’oreille. Il alla même jusqu’à couper totalement sa respiration.


Haiko sentit que Yuu se serait un peu plus contre lui, il avait l’impression que sa tête était en surchauffe. Gêné, perdu, honteux, il ne savait même plus comment réagir. Il tenta de voir les yeux du blond, mais à peine eut-il croiser son regard que l’androïde baissa les yeux, trop peureux pour parler en le regardant directement.


Il fit une longue pause avant d’ajouter d’une petite voix :

Quand il sentit Yuu se décoller de lui, il se retînt de justesse de le retenir. Le geste aurait été inconscient, comme si son enveloppe n’avait pas été en coordination avec son esprit… Ou son esprit avec lui-même. Il devait bien se l’avouer, il trouvait bien agréable d’avoir un corps chaud collé au sien… Lorsque le blond lui adressa un large sourire, Haiko sentit quelque chose se serrer dans sa poitrine. Un tel sourire juste après tant de larmes, ça lui semblait si… Artificiel. Malgré tout, il ne dit rien. S’il ne fabulait pas et que Yuu lui cachait bel et bien sa tristesse, c’est qu’il y avait une raison.


Le robot tressaillit. Cet humain lui semblait si sur de lui, soudainement ! Et très rentre-dedans, aussi. Mais malgré tout, il préférait cette attitude là qu’à celle désemparée qu’il avait un peu plus tôt. N’ayant jamais été très doué pour comprendre les sentiments humains à cause de sa véritable identité, voir le garçon blond en larmes par sa faute – même s’il lui assurait l’inverse, il était persuadé qu’il était la cause de tout cela – lui avait fait de la peine.

Quand il sentit les bras de Yuu s’enrouler autour de lui, il colla inconsciemment son dos contre le blond, savourant cette chaleur humaine dont il avait manqué pendant tant d’années. Les paupières à moitié clauses, il n’avait jamais été aussi apaisé quand la langue de Yuu s’était aventurée au coin de sa bouche.


Retournant à la réalité, Haiko ouvrit les yeux et les planta dans deux de son camarade en pivotant sur lui même. Lui faisant maintenant face, il détailla pour la première fois son visage en répondant d’un ton absent :


Il lui adressa un sourire gêné avant de continuer :


Réalisant toute l’ampleur de la situation, il écarquilla les yeux en laissa échapper un soupir impressionné.


Sa timidité revenant au grand galop, il se tue. Il articula avec difficulté :

Voyant la gêne que Yuu éprouvait à l’égare de sa question, Haiko regretta de lui avoir demandé ça. Qu’est-ce qu’il lui avait pris de l’interroger là-dessus ? Sur le coup, il ne s’était pas rendu compte de l’impertinence de sa remarque. Il aurait mieux fait d’un peu plus réfléchir avant d’ouvrir la bouche.


Un grand silence s’installa où il ne savait plus quoi dire. Le genre de silence qui semble durer une éternité et où chaque sujet de conversation ne semble pas la bienvenue. Extrêmement mal à l’aise, il sentait la feuille de papier qu’il avait toujours dans son poing. Prenant son courage à deux mains, il dit d’une voix enrouée par l’anxiété :


Il se racla la gorge avant de continué d’une voix moins tremblante :


Les joues rosies, il se maudit intérieurement. Incapable de trouver un sujet de conversation convenable et où personne ne se sentirait mal à l’aise, il avait dit la première chose qui lui avait traversé l’esprit. Et maintenant qu’il était trop tard, il se disait qu’il allait forcément gêné le blond. Personne ne rêverai d’avoir un noob comme lui collé aux basques !

Haiko sursauta lorsque Yuu lui attrapa brusquement le bras. Ouvrant en grands les yeux, il s’apprêtait à lui demander ce qui n’allait pas quand le blondinet dit précipitamment :

« Je ne veux pas te perdre. S'il te plaît... Reste avec moi... »

Paniqué devant l’air de détresse que laissait transparaître Yuu, l’androïde se figea, ne sachant plus s’il devait partir ou non. Et puis il était conscient qu’il était en partie la cause du chagrin de l’autre, et il ne voulait pas causer du souci aux autres. Alors qu’un silence pesant s’installait entre eux, il leva timidement la main et s’immobilisa lorsqu’elle arriva au niveau de son bassin. Il avait eu l’intention de serrer le blond contre lui pour le rassurer mais il s’était ravisé. Quelque chose lui disait que c’était une mauvaise idée…

Il laissa retomber son bras le long de son corps, de plus en plus perdu. Il fut soulagé lorsque Yuu déclara d’une voix où toute tristesse avait disparue :

« De toute façon, on est dans la même chambre. »

Le temps qu’il assimile l’annonce de son homologue, celui-ci lui attrapa la main en emmêlant ses doigts aux siens. Rougissant de plus belle, Haiko ne protesta pas et se laissa faire. De toute façon il était incapable de dire non à quoi que se soit et à qui que se soit. Alors en plus lorsqu’il trouvait la chose agréable et la personne fort sympathique… Oui, c’est vrai qu’il aimait bien avoir la main dans celle de Yuu, chaude et douce. Totalement focalisé sur ce contact entre eux, il referma un peu plus ses doigts et un frisson lui parcourut l’échine. La sensation qui le traversa à ce moment fut si forte qu’il hoqueta, redressant la tête pour voir Yuu ouvrir une porte et s’engouffrer dans une chambre vide.

Un calme plat régnait à l’intérieur, et il se rendit comte seulement à cet instant que les couloirs étaient réellement bruyants. Sa main était toujours attachée à celle de Yuu, et pour rien au monde il n’aurait voulu la lâcher, comme si briser ce lien qui les reliait allait mettre un terme à la sensation de chaleur qui lui étreignait la poitrine. Sensation multipliée au centuple quand il sentit le blond le serrer doucement contre lui. Il en eut la chaire de poule, même s’il n’avait aucun poiles sur sa peau artificielle. Le temps était comme au ralenti et il sentait son pouls battre à ses oreilles d’un rythme effréné.

Lorsque les lèvres de Yuu rencontrèrent les siennes, il avait l’impression que la sensation qui se logeait au départ au creux de son ventre s’était propagée dans tout son corps, mettant en alertes tous ses sens. Sans qu’il ne s’en rende compte, ses mains remontèrent de long du dos du blond et s’accrochèrent à son tee-shirt. Bougeant les lèvres en rythme avec celles de son homologue, son souffle devînt plus roque et plus saccadé, trahissant l’excitation croissante dont il n’avait même pas conscience. Au fur et à mesure que le baiser se prolongeait et que l’oxygène se tarissait dans ses faux poumons, il se serrait tout entier contre le corps bouillant de Yuu. Ses bras se remirent en mouvement, quittant le dos du blond pour caresser son torse et finalement s’enrouler derrière sa nuque.

Alors que ses lèvres se décollaient légèrement de celles de Yuu pour leur permettre à tous deux de respirer, il laissa échapper un faible gémissement, à la limite du soupire. Se fut sûrement ce bruit qu’il avait été incapable de retenir qui fut la goutte qui fit déborder le vase. Il éloigna son visage de quelques centimètres de celui de Yuu, croisant son regard doré avant d’éclater en sanglots. Il ne savait pas pourquoi il pleurait, mais il était certain qu’il était loin d’être triste.

D’un geste tremblant tant il était chamboulé, il enfouie son visage contre la clavicule du blond, s’appuyant contre lui de tout son poids de telle façon qu’il l’obligea à s’assoire sur le sol. Se serrant contre lui comme si sa vie en dépendait, il continua à pleurer dans son cou.

Se ne fut qu’après quelques minutes qu’il reprit son calme et hoqueta :

« P-pardon, je ne sais pas ce qu’il m’a prit de pleurer ainsi… Je… J’étais si heureux, c’était… »

Cherchant un mot convenable pour décrire la foule de sentiments qu’il avait ressentit, il balaya en une fraction de seconde le vocabulaire de chaque langue sur terre, vivante ou morte, pour constater qu’aucun mot n’en était digne. Alors, pour faire tout de même passer son message, il se pencha lentement vers le visage du blond et déposa un rapide baiser sur ses lèvres.

Les joues encore humides de ses larmes et la gorge serrée, pour la première fois de toute son existence, Haiko se sentait vivre. Il était bombardé d’une tonne de sentiments contradictoires et ne comprenait pas la moitié des choses qui se passaient. Alors c’est ça, être humain ? songea-t-il. Le dos appuyé contre le mur, il avait l’impression de que le temps filer au ralentit, lui permettant de capter et graver dans sa mémoire le moindre petit détail de la scène, jusqu’au simple grain de poussière voletant dans l’air. Il sentait les mains de Yuu glisser au somment de son crâne, remuant agréablement ses cheveux. Le front collé à celui du garçon dont il ne se doutait même pas de son existence vingt-quatre heures plus tôt, il ne s’était jamais senti aussi apaisé. Les joues rougies, il dit d’une voix tremblante :

« Est-ce que tu peux me raconter la première fois que l’on s’est vu, s’il te plait ? Je veux tout savoir, comme si je m’en souvenais encore. »

Les yeux plongés dans ceux de Yuu toujours à califourchon au-dessus de lui, il lui adressa un timide sourire, creusant de légères fossettes dans ses joues et lui faisant plisser les paupières.